La femme, le fauve et Fenghuang réunis pour une fois, une seule.

Je suis entourée de touristes sur cette terrasse bondée. Montmartre à cette époque regorge de visiteurs de tout horizon.
Je me sens presque à l’étranger. Pas si loin de toute façon car depuis une semaine je suis comme hors de moi. Tous mes gestes sont mécaniques, et mon coeur est froid.

Il est des rencontres qui changent votre vie et j’en fais l’expérience aujourd’hui. A bientôt 37 ans je n’aurais pas cru cela possible et pourtant. Finalement, ce n’est pas tant ta personnalité ni ton caractère qui m’ont métamorphosée, mais plutôt ce que j’ai cru y voir, ce dont j’ai fantasmé.
Peut être avais je inconsciemment préparé cette transformation et ta venue a été comme un interrupteur qui a enclenché le processus .

J’ai vécu mille vies selon mes amis, et connu autant de déconvenues que de joies. J’ai aimé des hommes, de tout mon coeur, et ai connu la passion comme l amour raisonnable. Puis je t’ai rencontré il n’y a pas deux mois.
Quand je suis arrivée à cette soirée pour rejoindre un ami mon regard a croisé le tien et nous sommes restés un instant ne pouvant pas décrocher nos yeux l’un de l’autre. C’est moi qui ai tourné la tête la première, cet échange m’avait décontenancée.
Je ne suis pas restée longtemps et nous avons à peine bavardé. Tu as mis plus d’un mois à obtenir mon numéro de téléphone, et ton entêtement a finalement porté ses fruits.

Lors de notre premier rendez-vous, je n’étais pas disponible, je fréquentais alors quelqu’un et j’ai d’ailleurs vite mis un terme à cette relation qui n’avait ni queue ni tête.
Ce n’est qu’à notre second rendez vous qu’une chose extraordinaire s’est produite.
Nous avons bu l’apéro, mangé et discuté comme deux amis. puis nous avons continué la soirée sur le toit de ton appartement. La nuit était chaude et agréable. Tu n’arrêtais pas de me parler, de ton travail, de ta vie, de ce que tu envisageais de faire. Moi je te regardais et je pensais alors que tu avais fait une enquête sur moi tellement tout ce que tu disais me plaisait, ressemblait à ma façon de voir la vie.
Une petite brise faisait danser une mèche de mes cheveux sur mon visage et tu me disais alors qu'il changeait de façon inexpliquable. Je regardais le tien et le trouvais incroyablement beau. Une beauté simple et magnétique.
Les petites lumières des appartements allentours donnaient à la scène un éclat presque magique. Je t’ai regardé encore alors et je ne t’écoutais plus. Pour la première fois de ma vie je réalisais que je voulais passer le reste de mes jours à  coté de cet homme qui me faisait face, à coté de toi.
Je n’ai jamais cru à l’amour éternel, et au risque de blesser mon ex-mari, j’ai toujours pensé que la vie était faite de tranches plus ou moins épaisses de rencontres, d’expériences diverses, mais il était ridicule pour moi de croire à une relation amoureuse qui dure sa vie durant.

Voilà l’extra-ordinaire, j’étais tombée amoureuse sur ce toit.

C’est moi qui t’ai embrassé la première et ce baiser emplifia cet amour naissant. Tu as commencé à porter tes mains sur mon corps et j’étais comme ennivrée. Puis nous sommes descendus du toit pour glisser vers ta chambre et nous avons fait l’amour, comme si nous l’avions toujours fait ensemble. Les gestes étaient fluides et les corps se reconnaissaient.
Oui, je suis tombée amoureuse sur ce toit.
Je n’ai cessé de penser à toi depuis cette nuit.
Et depuis nous nous sommes vus trois fois.
La première, je t’ai rejoins dans un bar où tu étais avec des collègues, il était plus de minuit et vous aviez tous bu plus que de raison.
La seconde fut chez moi et je t’ai empêché de dormir tellement ma bouche réclamait la tienne, mon corps suppliant le tien. Je t’ai même chanté des chansons, mes chansons, que je ne fais d’ordinaire jamais écouter.
La dernière fois fut à ce concert. Rien n’était fluide et je t’avouais alors ne pas comprendre pourquoi tu ne sollicitais pas davantage nos rencontres. 

Ce fut la fin.

J’avais fait attention à ne pas trop t’écrire.
J’avais fait attention à ne pas trop t’embrasser.
J’avais fait attention à ne pas être trop pressante.
Je n’avais pas fait attention aux signes.

Je ne m’étais fiée qu’à mon instinct. Comme je le fais d’habitude. Il n’est d’ordinaire pas trompeur.
Ta dernière phrase m’a fait partir. Je t’aurais soi-disant « vendu du rêve », je n’étais pas la femme libre, indépendante et entière que tu pensais. 
C’était donc ça, tu étais épris de ma liberté, comme tous les hommes auparavant. Epris de mon indépendance. J’ai réalisé alors d’un coup quels étaient tes intentions, surtout ne pas s’attacher et profiter de moi, des moments que je pouvais apporter à ta vie. Un peu comme une bulle d’air...
Puis il y a eu ton message: « Clairement ça m’a fait chier, et ça continue »
Un tourbillon alors dans mon ventre, une tornade dans mon esprit, ce pouvait-il que tu ressentes la même chose?
Je ne suis pas adepte du téléphone et des vecteurs de communication actuels. Je te priais de m’appeler pour qu’on se voit.
Tu m’as répondu alors que tu me contacterais quand tu aurais du temps.
Le week end a passé et tu partais en vacances le lundi, à ton retour ce serait moi qui partirai en vacances.
Je voulais te voir pour te parler. Je n’avais pas en tête de recevoir des explications de ta part, ni des excuses face à ton manque d’interêt de me voir. Je voulais t’expliquer ce que je ressentais.
Ta fuite a provoqué mon emballement.
« Je suis au cinoche, on se capte plus tard »
Cette petite phrase m’a mise hors de moi.
Quelle femme n’aurait pas été hors d’elle? As tu une soeur? des amies? 
J’ai attendu des heures assise par terre aux pieds de ton immeuble. De façon imagée, je me suis fait vomir ce soir là.
Sonia ma meilleure amie s’était faite hospitalisée la veille et elle m’avait dit « B..., si tu veux le voir avant son départ, va chez lui, fonce! »
En y repensant, tu as certainement dû me prendre pour une folle, du genre Glenn Close dans « liaison fatale ». C’est vrai, j’y suis allée un peu fort, mais tu es co-responsable de cette folie.
Je t’ai prié de ne pas me laisser dans la rue comme un chien et j’ai espéré..
A la fin je t’ai appelé 34 fois. Rien que d’écrire ça j’ai honte.
Le « je suis au cinoche, on se capte plus tard » avait eu raison de moi. Raison de ma raison.
Le dernier mot de toi a été « Ca sert à rien de me harceler, c’est même contreproductif, je t’ai dit que je te contacterai quand j’aurai du temps, j’en ai pas eu pour l’instant, donc n’insiste pas »
Ta colocataire m’ayant dit que tu étais sorti toute la nuit sans rentrer la veille, ainsi que  la soit disant séance de cinéma me criaient: "il se fout de toi, pas le temps? »

J’ai effacé nos messages échangés.
Cela fait une semaine.
Tu as traversé ma vie comme une étoile filante.
Quelque part je suis étonnée et agréablement surprise de voir que j’ai pu ressentir une telle chose vis à vis d’un homme.
Quelque part.

La possibilité que tu m’appelles un jour est quasi nulle, je le sais maintenant.
Je n’enverrai pas cette lettre, cela ne sert à rien, à part me ridiculiser. Je ne cherche pas l’empathie, oh non, loin de moi cette idée. Pire que tout.
Si j’ai pu ressentir ça c’est que mon coeur était prêt à aimer, enfin, après tout ce que j’ai vécu. Le mal des hommes depuis mes huit ans.
La seule question qui me vienne à l’esprit c’est « pourquoi? »
Une fois en presque 37ans.
C’est déjà ça.
C’est presque trop.

8, infini vertical

Étreindre un possible, du bout des doigts, est le goût le plus exquis.
Ce sont ces moments, présents, qui déclenchent le feu. Ce feu extra-ordinaire, dont le Fenghuang a besoin. 
Pas de question 
Pas de réponse à donner
Et pourtant une envie, tangible, présente.

Ces instants sont  si ténus, fugaces, si rares que le plaisir est immense.
Le présent, ma vision du présent, prend tout sont sens.

Puis la femme et le fauve reprennent leurs places.
Les questions
Les réponses à donner
Aux autres, au Troupeau.

Le fauve hurle, la femme sourit, Fenghuang vole. Haut.